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| Un Long Silence | |
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Mary-Eve Admin
Number of posts : 11517 Age : 40 Localisation : ♥ In his dream ♥ Registration date : 2008-03-16
| Subject: Un Long Silence Wed 4 Jun - 0:47 | |
| Un long silence Il est treize heures. On m’a laissé entrer avant l’heures des visites. Au début, on voulait que je revienne plus tard. Mais j’ai pris mon air de petit chien piteux qui fait craquer toute les grand-mères et on m’a finalement permis de venir m’asseoir près de toi, même si je ne suis pas de la famille. Après tout, je suis plus que ça : je suis ton meilleur ami. Tu ne te vois pas l’air. Si je ne te connaissais pas, disons que la première réflexion qui me viendrait en tête serait : « Jolie, mais épaisse sûrement. » Voilà ce que je penserais. Mais je te connais. Et c’est peut-être la brume dans mes yeux, qui me fait te voir comme ça. Je t’ai trouvée épaisse, aussi, la première fois où je t’ai vu. T’en souviens-tu, Alice? Alice!Tu haïssais donc ce nom dans ce temps-là. Tout le monde t’appelait « Alice plein de pisse ». Tes parents pensaient à Alice au pays des merveilles quand il ton baptisée ainsi. Mais, pour toi, c’est vite devenu Alice au pays des cauchemars . C’est vrai que ça ressemble à un nom d’arrière-grand-mère. Mais que veux-tu : les parents ne croient pas mal faire. Encore heureux! Sinon, le monde serait pas mal trop laid pour y vivre… La première fois où je t’ai vue, c’était chez tes parents. Ma mère était venue visiter la tienne. Deux grandes amies, nos mères. Vous arriviez de Toronto, après dix ans passés là-bas à cause du travail de ton père. Je sais qu’on s’était déjà rencontrés avant, mais j’étais trop petite, je ne m’en souviens pas. De cette fois-là, oui. Même si j’avais à peine cinq ans. Toi, six. Ça fait onze ans maintenant. C’était l’été. Vous habitiez une immense maison neuve, en banlieue. On habitait en ville, un grand deuxième étage dans Rosement, pas cher et tout croche. Mais ça, c’est une chose que j’ai sue plus tard. Pour un enfant, un plancher, croche ou droit, ça ne fait pas de différence. Ça reste un plancher. Je crois que ma mère regrette le temps ou j’étais petit, quand elle faisait ce qu’elle voulait avec moi, quand j’étais complètement dépendant de mes parents et qu’ils pouvaient m’embrasser partout sans être poursuivis de détournement de mineur. Tu sais, c’est parce qu’ils nous ont connu bébés que, plus tard, les parents se plaignent de nous. Parce qu’on se détache d’eux, tout simplement. Rien à voir avec ce qu’on est devenus. J’imagine que c’est la même chose pour toi. Je veux dire, ils regrettent sûrement le temps ou ils t’habillaient en poupée, avec le béret du même tissu que la robe. Tes vêtements, on ne peut pas dire qu’ils sont ceux dont une mère rêve pour sa fille. De loin, il est à peu près impossible de deviner que tu es une fille. De près, c’est pas mal plus clair, avec la grosseur de seins que tu as. Quoique tu as toujours été experte dans l’art de les dissimuler sous des chandails d’homme extra-large. Bizarre comme on a peu de souvenirs d’enfance. C’est triste. Te rappelles-tu mon chien Poppy? Je l’ai reçu en cadeau quand j’ai eu 1 ans. Je l’ai eu pendant sept ans. Je ne faisais rien sans mon chien, paraît-il. Je lui dois au moins mille bobos sur les genoux, que je me suis faits en tombant quand on courait dans la ruelle. J’étais toute sa vie. J’ai été toute sa vie pendant sept ans et je ne me souviens à peu près pas de lui. Nono. Remarque que, des fois, c’est une bonne chose d’oublier l’enfance qu’on a eue… Par chance, j’ai des photos de Poppy. Un beau petit chien noir avec de grandes oreilles. Sur l’une d’elles, tu es là, avec moi. On est de chaque côté de Poppy et on lui flatte la tête. Tu dois avoir six ans. Tu portes un chandail à rayures horizontales et tes short serrés mettent en évidence ta grosse bedaine. Tu as les oreilles décollées aussi. Franchement, rien là-dessus ne laisse présager que tu vas devenir une belle fille. Une super belle fille. La vie es bête, hein? Tu es là, maganée, mais belle quand même. Je suis près de toi, en pleine santé, avec des boutons…eux aussi en pleine santé. Les filles me disent que j’ai des beau yeux. En clair, ça signifie : je suis chanceux d’avoir au moins ça, car le reste… Mes beaux yeux son un peu moins beaux, ce matin. Un peu trop enflés, un peu trop rouges pour charmer une fille. C’est drôle, je dis ça en soupirant, comme si je faisais ça tous les jours, courir après une fille. Moi qui ai de la misère à courir après l’ombre d’une fille. Et encore. Une minute, il faut que je me mouche pour la millième fois au moins, aujourd’hui. Hier soir, quand j’ai appris ce qui t’était arrivé, j’ai sorti les photos et j’ai cherché toutes celles ou tu apparaissais. C’est étrange, les manières de réagire. Et puis, il n’y avait rien d’autre que je pouvais faire. J’en ai trouvé plusieurs, que j’ai apportées. Heureusement, ma mère est Kid Kodak. Elle est notre mémoire. | |
| | | Mary-Eve Admin
Number of posts : 11517 Age : 40 Localisation : ♥ In his dream ♥ Registration date : 2008-03-16
| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 0:49 | |
| Regarde : celle-ci a été prise chez toi, dans votre grosse maison grise. Avant que ton père perde tout à cause de mauvais placements. On est debout devant le cordon du salon. C’était vraiment nono, ça : un cordon doré pour empêcher les enfants d’entrer. Quand je pense que j’étais impressionné! Les fauteuils en velours rouge, les rideaux en velours vert, les franges dorées, un décor de château pour moi! C’est vrai que ta mère était une sorte de reine : la reine du mauvais goût, parce que c’état assez laid merci.
Tu as les genoux croches. Mais tu as déjà tes beaux cheveux longs qui ont fait craquer tout les gars du cégep. Tu souris : c’est rare!D’habitude, ton genre, c’est plutôt l’air bête.
Cette photo-ci, je l’aime bien. Parce que tu me donnes un bec. Ta mère a dû t’y forcer en menaçant de t’enfermer si tu ne le faisais pas. Il faut dire que ça ne se fait pas de ne pas embrasser quelqu’un pour sa fête. J’ai huit ans, là-dessus. Il suffit de compter les chandelles sur le gâteau.
Tu me tends un paquet emballé. Je ne me souviens pas de ce qu’il contenait, mais c’est certainement ta mère qu’il l’avait choisi. Encore aujourd’hui, tu ne sais jamais quoi offrir. Tu es la pire acheteuse de cadeaux que je connaisse!Tu as le don de toujours tomber sur la chose que la personne fêtée ne voulait pas.
Ce n’est pas grave. Je t’aime quand même. Mais ça, tu ne le sais pas. Tout le monde t’aime : on te l’a dit. Dommage qu’au fond de toi, tu ne l’aies jamais crue. Maudite tête dure!
Toi? M’aimes-tu un peu? M’as-tu aimé plus que tu ne l’as jamais avoué? Au début, on a été obligés de se voir, forcés par nos mères à jouer ensemble plus souvent qu’on aurait voulu. Ce n’était pas évident, côté compatibilité de caractères. On s’est pris aux cheveux au moins dix mille fois!
Te souviens-tu du jour où tu m’as enfermé dans la sécheuse? Comment tu as réussi à me convaincre d’entrer dedans, j’aimerais beaucoup le savoir, tu l’as fait tourner juste quinze secondes, mais ça m’a paru trois siècles. Tu as failli me tuer. Tu m’as ouvert la porte et tu m’as sorti de là. Puis, tu m’as dit que je venais de vivre une expérience unique dont je me souviendrais toute ma vie. Je pense que tu t’attendais à ce que je te remercie.
À la place, je t’ai sauté dessus en te frappant de toutes mes forces, même si, à six ans, ce n’est pas énorme. Il y a des limites! Et tu as eu un superbe œil au beurre noir. Pour une fois, c’est moi qui gagnais. J’ai toujours été plus faible que toi. Je suis encore ce qu’on appelle un faible, quelqu’un sur qui on peut ambitionner. Je peux bien l’admettre maintenant, même si je sais que ça ne te fait pas un pli.
À la longue, on a fini par se téléphoner sans y être obligés. Tu t’es habituée à avoir ton souffre-douleur sous la main. Moi la victime, toi le bourreau. C’est vraiment cruel, les enfants. Quoique, à ta décharge, je dois avouer que tu m’as souvent sorti de situations dangereuse.
Te rappelles-tu la fois où tu as battu les Italiens qui m’avaient tassé dans un coin? Ils étaient quatre. Ils me poussaient chacun leur tour, ils me traitaient de tous les noms, ils me donnaient des claques derrière la tête et le pire, ils voulaient que je leur donne mon blouson de jean. C’était à côté du dépanneur, au coin de ma rue. Tu es arrivée juste à temps.
- Lâchez-le, sinon j’appelle la police! C’est écoeurant de s’attaquer à un plus petit! Reste là, toi, les barniques, sans ça je vais crier assez fort que toute la rue va se retrouver ici dans dix secondes! Viens, Nickolas, viens-t’en. Et s’ils t’achalent encore, ils vont savoir comment je m’appelle.
Il y en a un qui est parti à rire. Tu lui as sauté dans le dos en lui tirant les cheveux. Tu as tiré tellement fort qu’ils ont dû pousser de cinq centimètres au moins! Les autres gars n’en sont pas revenus. Ton courage et ton audace leur on fait peur. Ils ont figé là. Avant qu’ils puissent réagire, le Chinois du dépanneur est sorti. Je pleurnichais dans mon coin.
Ils auraient pu te démolir, mais tu n’a pas hésité. Tu as sauvé ton petit frère. Parce que c’est ce que j’étais non? Tu ne m’as jamais dit : « Tu es comme mon petit frère », mais c’est ce que j’ai toujours été pour toi. Ça ne me dérangeait pas, puisque ça me rapprochait de toi. Pas assez, il faut croire.
On a fini par faire une belle paire d’amis. Et quand vous avez déménagé dans mon quartier, on est devenus carrément inséparable.
…Excuse-moi , Alice. Il faut que je prenne une grande respiration. J’ai le nez bouché, les yeux mouillés, je renifle. J’ai l’air d’avoir le rhume. Peut-être que tous les gens qu’on croise et qui semblent enrhumés ne le sont pas vraiment. Peut-être qu’ils ont tout simplement de la peine, comme moi. Au fond, ça se ressemble : ma peine, c’est quelqu’un qui me l’a passée, comme un rhume.
Je sais : encore une de mes théories niaiseuses. Mais elles t’ont toujours fait rire. Juste pour ça, elles sont précieuse.
Où est-ce que j’en étais? Ah oui! Le petit frère…Tu venais tout le temps chez nous, puisque chez toi, c’était plutôt déprimant.
Qu’est-ce qui t’a manqué quand tu étais petite? Veux-tu bien me le dire? Qu’est-ce qu’on ne t’a pas donné qui aurait pu remplir ce coin vide que j’aperçois, parfois? Il y a des moments où tu ne regardes nulle part. ça m’arrive à moi aussi, sauf que je suis simplement dans la lune. Mais toi? Tu regardes peut-être en dedans le petit trou noir qui cache tout le reste autour.
Tes longs cils font de l’ombre sur tes joues, une ombre longue et douce. Quand tu pleures, tes larmes restent accrochées quelques instants à tes cils et alors, tu n’as pas l’air d’une personne triste, non. Tu ressembles à une plate exotique heureuse d’avoir été arrosée. Tu as tout pour toi. Alors, qu’est-ce qui t’a manqué? | |
| | | Mary-Eve Admin
Number of posts : 11517 Age : 40 Localisation : ♥ In his dream ♥ Registration date : 2008-03-16
| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 0:51 | |
| Aimes-tu ta mère? Bon, tu t’en plains souvent. Tu dis qu’elle ne te comprends pas, ne t’aime pas, qu’elle préfère ta sœur. C’est vrai que ta sœur s’habille en fille de bonne famille, ce qui plaît à ta mère. « Elle a l’air fin », comme elle dit. Elle veut être infirmière, alors que toi…Du théâtre! Est-ce que ça existe, une mère heureuse que sa fille veuille faire du théâtre?
Je sais, moi, que tu es une grande actrice. D’abord, tu es assez menteuse pour ça. Je n’en reviens pas de la facilité que tu as à rire du monde en pleine face avec tes histoires qui ne tiennent pas debout sans que personne s’en aperçoive. Sauf moi, parce que je connais tout de toi. Quoique…Tu m’as convaincu moi aussi que tu allais bien. Ça faisait même longtemps que je ne t’avais pas vue si en forme. Comment est-ce que tu as pu me mentir à moi aussi? À moi, ton ami d’enfance! Ça ne signifie rien pour toi, toutes les années qu’on a passées ensemble? Ça n’a pas d’importance, tous nos mauvais coups, tout les bobos qu’on s’est infligés, tous les films qu’on a regarder dix fois de suite?
C’est toi qui m’as montré à embrasser : ça ne t’a rien fait? Moi, je m’en souviendrais toujours, figure-toi, parce que c’est le plus beau, le plus magnifique baiser qu’une fille m’ait jamais donné!
Je sais, je ne te l’ai jamais dit. Mais tu sauras qu’il y a beaucoup de choses que je ne t’ai jamais dites! Tu as peut-être la palme des mensonges, mais pas celle des secrets! J’en ai, moi aussi, même si je suis un gars.
À commencer par le fait que je rêve que tu m’embrasses encore. Je te regarde étendue là, immobile, et si je ne me retenais pas, si je n’avais pas peur que quelqu’un entre, je pense que je t’embrasserais de toutes mes forces! Je te donnerais à ton tour le plus beau baiser que tu aies jamais reçu! J’ai de la pratique maintenant.
Bon! Es-tu contente? Tu le sais maintenant. Ce n’est pas parce que je suis ton meilleur ami que, des fois, je n’aurais pas envie de… Tu y crois à l’amitié pure entre un gars et une fille? Probablement, puisque, pour toi, je suis comme ton petit frère.
Pourquoi m’as-tu embrassé, alors? Tu m’as expliqué que tu voulais me montrer comment faire, pour que je n’aie pas l’air trop niaiseux avec les filles. Peut-être que, pour une fois, tu ne mentais pas…
J’ai l’air niaiseux avec mes photos dans les mains, tu ne trouves pas? Sentimental au cube. Je détestais tes tresses, mais aujourd’hui, je trouve que ça t’allais bien. Tu ne t’en fais plus depuis longtemps. Je n’ai même pas remarqué à quel moment tu as arrêté. Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas remarquées.
J’ai grandi avec toi, en regardant en avant, jamais en arrière. Il n’y a pas de derrière. Il n’y a pas de devant non plus. Simplement des moments qu’on vit, des journées qu’on remplit, sans but, sans intentions. On n’est pas sur une route, on est dans un champ dont on fait le tour sans se demander ce qu’il y a derrière la clôture. On ne la voit pas de toute façon. Est-ce qu’on est bien? Probablement que oui, mais je ne m’en souviens pas.
Maintenant, on est sur la route. Je ne retournerais pas en arrière parce que cette route est pleine de promesses. Enfin, je crois. Peut-être que toi, tu aimerais revenir en arrière. Je dis ça, mais j’en doute. Tiens, on apporte un bouquet. Je regarde la carte, si tu le permets. « De ta mère, ton père et ta sœur qui t’aiment. »
Il pue, ce bouquet-là. Je n’aime pas l’odeur des fleurs, surtout des lys blancs et énormes comme ceux-là. J’aime l’odeur d’une seule fleur. N’importe laquelle, pour vu qu’il n’y en ait qu’une.
Est-ce que je t’ai déjà parler de mon premier grand amour? Sans doute, mais je vais t’en parler encore. C’était ma maîtresse de deuxième année, mademoiselle Dulude. Je la trouvais donc belle! Elle avait les cheveux blond et du rouge à lèvres rose nanane. Ses lèvres m’ont tellement marqué, d’ailleurs, qu’elle devait passer au moins un tube de rouge par jour pour avoir une bouche aussi pulpeuse. Elle devait même en avoir sur les dents, c’est sûr.
Je la trouvais donc fine! Elle avait une petite voix, comme un petit chat, et elle nous parlait toujours doucement. Quand elle s’adressait à moi, je figeais sur place. Elle ne comprenait pas que j’aie de si bonnes notes et qu’en même temps, je sois incapable de répondre aux questions. Niaiseuse rare! Je ne devais pourtant pas être le premier petit garçon qui tombait amoureux d’elle!
Je lui donnais des dessins. Des dessins qu’elle a dû jeter à la fin de l’année. Je pensais que je ne passerais pas l’été, puisque je ne la verrais plus. Mais deux jours après la fin des classes, je l’avais oubliée. C’est bizarre d’oublier si vite quelqu’un pour qui on a ressenti une si grande passion, tu ne trouves pas? | |
| | | Mary-Eve Admin
Number of posts : 11517 Age : 40 Localisation : ♥ In his dream ♥ Registration date : 2008-03-16
| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 0:56 | |
| As-tu déjà été amoureuse d’un de tes profs? Je veux dire, petite. Maintenant, je sais, tu tombes littéralement amoureuse de tous tes profs. Il y en a, franchement, je ne sais pas ce que tu leur trouves. Surtout le grand blond avec la barbiche qui se prend pour d’Artagnan ; il perd ses cheveux en plus. Un pied dans la tombe, c’est certain. Il a l’air fade comme une soupe d’hôpital, mais c’est mon opinion. Une chose est certaine en tout cas : si jamais j’ai des tendances homosexuelles, ce n’est pas avec lui qu’elles vont se manifester. Ça ne te réussit vraiment pas le cégep.
Te souviens-tu de ton arrivée à mon école? Tu entrais en cinquième. Moi aussi, puisque je venais de sauter ma quatrième. Par chance, tu étais là pour m’aider à passer mon année.
Tu me dépassais d’une tête et tu n’arrêtais pas de parler de ton ancienne école, privée ma chère, et d’expliquer que c’était tellement mieux là-bas, parce que les clases n’étaient pas peuplées de « deux de quotient » comme l’école publique. Disons que tu n’étais pas très populaire. Snob à dix ans, il faut le faire! Tout le monde t’évitait et te boudait.
Mais j’étais ton ami. On se rejoignait dans la cour à toutes les récréations. On jouait rarement avec les autres. Je parlais beaucoup, je racontais le roman d’aventures que je lisais ou l’émission de télé de la veille que tu n’avais pas regardée. Mes préférées, c’étaient toujours celles avec un animal en vedette, un chien, un cheval, un dauphin, un kangourou. S’il y en avait eu une avec des fourmis, je l’aurais suivie passionnément. J’étais un peu bébé.
Toi, tu préférais les téléromans. Les histoires d’amour des téléromans. Tu cherchais aussi à tout s’avoir sur les histoire d’amour qui se passaient à l’école. Mais l’amour à dix ans, ce n’est pas encore Roméo et Juliette , disons.
Finalement, il me reste de la petite école mademoiselle Dulude et nos deux récréations par jour à parler ensemble. Enfin, c’est surtout moi qui parlais, mais quand même. Il me reste, de toute cette époque, le souvenir d’une longue attente entre deux récréations, l’attente de te retrouver enfin.
En faite, avec toi, j’ai appris à attendre. C’est une chose que tu n’as pas apprise, toi. Encore aujourd’hui, je suis là à t’ attendre. Je voudrais te parler comme avant, te raconter des histoires de chiens, peupler tes rêves de colleys, de dalmatiens, de golden retrievers et de chiens errants. J’aimerais te faire sourire dans ton sommeil et oublier tout le reste. Juste un petit sourire, Alice. C’est si difficile que ça?
Et toi? As-tu appris quelque chose avec moi? Hum? Rien qu’une petite chose grosse comme une poussière dans mon œil? Tu étais plus vieille, tu as toujours été en avance, celle qui me montrait des choses. Moi, pauvre pou, je n’ai même pas pu te refiler un peu de mon inconscience. Parfois, je me dis que cette inconscience est ma plus grand qualité, parce qu’elle me fait avancer. Ce n’est pas que je ne me pose pas de questions, mais je ne m’en pose pas trop trop sur moi-même.
Enfin… je me demande pourquoi je vis, ou je m’en vais, d’ou je viens, si les extraterrestres existent, etc. Je me pose les même questions que tout le monde. Mais je ne me demande jamais si la vie vaut la peine. Je suis peut-être lâche. Quelqu’un qui ne veut pas aller au fond des choses. Ça m’évite de me retrouver au fond du baril.
On est tellement différents. Toi, quand tu commences à te regarder le nombril, tu rentres dedans et tu te fais prendre par une sorte de spirale qui t’entraîne vers le bas. Jusqu’au fond. Même plus bas que le fond. D’une certaine manière, j’ai toujours pensé qu’à cause de ça, tu étais plus intelligente que moi. Que tu voyais plus clair dans le cœur des gens, puisque que tu allais plus creux. Tu es peut-être plus intelligente que moi, en effet. Mais qu’est-ce que ça t’a donné?
Au secondaire, les profs étaient en admiration devant toi. Tu t’exprimais parfaitement, tu avais un français impeccable et surtout, tu parlais clairement. Tu te faisais comprendre de tout le monde. Peu importe le sujet que tu abordais, debout, toute seule devant un classe ou deux, tu étais la meilleure. Personne ne t’arrivait à la cheville. Tu nous hypnotisais tous. Tu aurais pu réciter une recette de gâteau au chocolat avec le même résulta. C’est ce qui t’a décidée à faire du théâtre, non? Parce que tu aimes avoir le monde à tes pieds.
J’étais bon en maths, en physique, en chimie, rien qui m’obligeait à faire rire de moi sur scène ou à réfléchir tout haut, en public, aux grand problèmes de l’humanité. J’étais jaloux de toi. J’avais encore l’air du petit gars qui s’amusait avec des legos pendant que sa sœur impressionnait la planète au complet avec sa compréhension du monde.
Sa sœur : je viens de dire une drôle de chose, tu ne trouves pas? Il s’en est trouvé d’ailleurs pour dire qu’on se ressemblait effectivement. À force de grandir ensemble, on est devenus des sortes de photocopies l’un de l’autre. De fait, je te ressemble plus qu’à mon père. Quoique dans son cas, je m’arrête probablement à ses manières pour dire qu’on n’a rien en commun.
J’en viens à ne plus savoir qui je suis. Souvent, je ne sais pas trop comment agir, si je dois être doux ou baveux. Tu m’as toujours dit que j’étais doux. C’est un compliment, mais en même temps, ça me fait peur, tu comprends?
C’est drôle : on se connaît depuis cent ans et il me semble qu’on ne s’est jamais vraiment parlé. J’ai un million de questions à te poser, plein de confidences à te faire. Je te regarde et je remarque seulement, là, maintenant, que tu ne ronges plus tes ongles. Depuis quand? Moi qui ai l’impression de te connaître à fond, je n’ai même pas vu une chose aussi évidente. On cherche fort, mais on regarde pas. C’est bête!
Peut-être qu’on ne regarde pas les autres vraiment parce qu’ils nous intéressent pas. C’est soi-même qu’on cherche à travers eux. Par exemple, je me suis tellement demandé à quelle gagne je devais me greffer! Laquelle correspondait à ce que j’étais. Épais! Je ne savais pas qui j’étais. Je ne le sais pas encore. J’ai fini par me greffer à une seule personne. Toi.
Je me demande si on ne choisit pas d’être ce que nos amis désirent qu’on soit. Et nos amis? Est-ce qu’on les choisit? Je ne t’ai pas choisie. Et tu ne m’ as pas choisi non plus. Nos mères nous ont imposés l’un à l’autre. Et comme le hasard nous a liés, chacun a influencé l’autre.
Quoique j’ai souvent l’impression de ne pas avoir développé mes goûts, mais plutôt les tiens. Si je ne t’avais pas connue, est-ce que je serais le même aujourd’hui? Est-ce que j’irais au musée? Est-ce que j’écouterais autant de musique classique? Est-ce que j’étudierais à ce cégep-là?
Je m’y suis inscrit parce que toi, tu avais décidé d’y aller. Parce que toi, tu savais ce que tu voulais : faire du théâtre. Je t’ai suivie : je ne pouvais pas imaginer être séparer de toi. Évidemment, je n’ai pas choisi le théâtre. Quand j’étais petit, juste à l’idée de chanter Petit papa Noel devant mes tantes, je perdais connaissance. Je me suis donc inscrit en sciences de la santé, pour simple raison, que j’avais les notes pour le faire. Si j’avais vraiment voulu devenir médecin, je serais allé au collège de X qui a une meilleure cote. Mais pour moi, c’étais plus important d’être avec toi que devenir médecin.
Je te regarde et , finalement, je pense que je la ferai, ma médecine. Encore une fois, à cause de toi. Dis donc, est-ce que je suis quelque chose sans toi? | |
| | | Mary-Eve Admin
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| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:00 | |
| Tu sais, j’ai toujours le trèfle à quatre feuilles qu’on avait trouvé ensemble. Il était dans le tiroir qui contenait mes bas et mes petites culottes. Je l’ai toujours gardé. C’est un beau souvenir. Il me rappelle tous les après-midi ou on manquait l’école, quand arrivait le printemps et qu’il faisait trop beau pour retourner s’enfermer en classe.
J’avais été étonné d’apprendre que tu pouvais te sentir petite parfois. Étonné n’est pas le bon mot : rassuré serait juste. J’étais rassuré de savoir que tu avais des moments de faiblesse, de peur, toi aussi. C’est nono, non, de se donner confiance avec la peur des autres? Ta peur me satisfaisait, me remontait. Aujourd’hui, je m’en rends compte. C’est mesquin. Je l’ai ici, le trèfle, dans ma poche. Ce n’est plus un si bon souvenir, finalement.
Tu sais que dehors, il fait beau? On annonçait de la pluie, mais le soleil est là, en fin du compte. Il ne reste presque plus de neige, juste un peu de glace dans les coins toujours à l’ombre.
Je suis venu à pied. J’avais envie de marcher, de prendre de grandes bouffées d’air, même si la rue Sherbrooke sentait l’essence, le diesel et les crottes de chien qui dégèlent. J’ai pensé : « Je vais réfléchir à ce que je vais lui dire, parce que c’est important, et pour elle, et pour moi. »Puis j’ai marché et je n’ai pensé à rien. J’ai compté mes pas, un deux, cinquante-cinq, mille trois.
Les choses importante, on ne les dit jamais quand c’est le temps. On les dit en passant, comme ça, au milieu d’une conversation banale, ce qui fait qu’on ne les entend pas vraiment. Tantôt, je disais qu’on ne regarde pas vraiment; je pourrais ajouter qu’on n’écoute pas non plus. Quoique l’important dans ce qu’exprime une personne, c’est souvent ce qu’elle ne dit pas, justement.
Je ne t’ai jamais entendue dire que tu aimais un film. Malheureusement, je n’ai pas réussi à te communiquer ma passion. Le cinéma nous fait oublier notre vie quand on la trouve plate. Il me semble que je te verrais bien su un grand écran. Avec ta belle figure en très gros plan, les yeux pleins d’eau, les cheveux soulevés légèrement par une machine qui fait du vent, tu serais encore plus belle que n’importe quelle actrice maquillée jusqu’au crâne.
J’ai regarder le vidéo qu’on a tourné le mois passé, pendant une de tes émissions de radio : tu crèves l’écran. Tu fais comme si de rien n’était, tu n’essaies même pas de cabotiner. Le vidéo nous a valu un A. je suis certain que ce n’est pas pour le contenu, ni pour la maîtrise de la technique : le prof est tombé amoureux de toi. Un autre.
On est embarqués chacun dans nos projets. Et puis tu travailles au cégep. Tu es vraiment chanceuse d’avoir trouvé cette emploi. C’est ennuyant de répondre au téléphone, mais au moins, tu es sur place. Moi, il faut que j’aille à l’autre bout de la ville. Et pour quoi faire? Pour mettre de l’essence et laver les vitres pour des conducteurs qui ne laissent même pas de pourboire.
Bizarre, j’ai le goût de me mettre à fumer. Comme ça, sans raison. Juste pour faire quelque chose de mes dix doigts. Pour m’enfermer dans un écran de fumée. Je la regarderais se dissiper, longtemps, et je penserais à rien, seulement à la fumée qui disparaît lentement. Je verrais le monde dans la brume. Un peu comme toi. Car c’est la que tu es, Alice, dans la brume, non?
Je devrais devenir pilote d’avion, ou bien, astronaute. Je pourrais peut-être te rejoindre?
J’ai besoin de marcher. Tien, je vais tourner autour de toi. Tu y es habituée de toute façon. Ton visage est tellement doux…Elle va toujours transparaître, cette douceur, même avec tout les efforts que tu fais pour avoir l’ai d’une dure. Bon encore des fleurs. Juste un signature.
« Bob et Jane. » Un oiseau du paradis : c’est mon père tout craché, ça.
Je m’étais juré de ne pas regarder ma montre. Pour ne pas voir le temps filer trop vite. Mais, tu m’excuseras de te le dire, je trouve qu’il passe lentement, finalement.
Je cours depuis vingt minutes en parlant, mais je ne pourrai pas garder le rythme. Je suis toujours comme ça. Je pars en quatrième vitesse, puis je m’essouffle vite. Comme un cheval mal entraîné qui donne toute sa puissance au début et qui s’épuise bien avant la fin de la course.
Oui, je suis un cheval mal entraîné. Un cheval fraîchement sorti de l’enclos qu’il n’avait jamais quitté et subitement lâché seul dans la vie. Qui ne sais pas dans quelle direction aller, parce que tout es tentant. Mais qui a peur de prendre le mauvais chemin et de se retrouver sur une route tellement accidentée qu’il pourrait facilement se casser une patte. Et un cheval à la patte cassée, on s’en débarrasse.
Je voudrais foncer sans avoir peur. Avoir le pied assez sûr pour ne pas trop m’en faire. Ne pas laisser les dangers et les menaces m’enlever le plaisir, la griserie du vent dans ma crinière. Aller mon chemin la tête haute en déployant toute l’énergie et la force cachées en moi. Avancer comme si j’avais des ailes, entraîné par le rythme de la course sans efforts apparents. Je voudrais être comme un cheval au galop.
Trouves-tu sa niaiseux ce que je te dis là? Je me laisse souvent emporter par des images que j’ai crée dans ma tête. Je les garde pour moi parce que j’ai peur qu’on me regarde de travers, qu’on pense que j’ai un problème entre les deux oreilles.
J’ai donc de profond doutes sur mes envolées poétiques, excuse la prétention. Quoiqu’elles ont toujours plu à mes blondes. Pas des grandes envolées! Je ne voulais pas me faire traiter de malade mental. Mais des petites, que je finis par tourner en compliment. Ça plaisait à Mandy en particulier. Elle me trouvait romantique.
Tu la détestais donc, Mandy. Elle était trop belle à ton goût. Tu disais qu’elle avait l’air d’une poupée, du genre dont les petites filles raffolent, avec des cheveux soyeux à coiffer et de grosses lèvres pêche. C’est vrai, elle avait le visage rond, la peau lisse et les joues roses et gonflées d’une poupée de prix. Mais que je lui pesais sur le ventre, elle ne faisait pas : « Maman! » Elle criait : « Ayoye donc! »
Je ne comprends pas pourquoi je suis sorti avec Mandy. Pourquoi elle est sortie avec moi, plutôt. Tout les gars lui couraient après, l’imaginait toute nue, rêvaient de l’embrasser.
Vous avez une drôle de façon de penser vous autres, les filles. Vous choisissez les gars qui ne veut rien savoir de vous, par défi. Après vous vous plaignez parce que le gars n’est pas à quatre pattes devant vous. Mais vous l’avez choisi justement pour ça! Le problème, c’est qu’une fois que vous avez conquis quelqu’un, vous tenez à le garder, à le mettre à votre main. Vous ne pouvez pas vous contenter de la conquête, comme les gars, la plus part du temps.
Sauf que pour Mandy et moi, c’était un peu différent. J’étais tellement surpris, honoré qu’elle s’intéresse à moi que j’aurais tout fait pour elle. Y comprit me rendre complètement et totalement ridicule. C’est pour ça que tu la haissais .
Tu as eu beau dire que j’étais son caniche, qu’elle me manipulait, que je lui mangeais dans la main, tu ne m’enlèveras pas l’idée que tu étais jalouse, un point c’est tout. Sinon, tu ne lui aurais jamais raconté que je souffrais d’épilepsie et que je pouvais avoir une crise n’importe quand. Des crises terrible! Les yeux me sortaient des orbites et plein de mousse blanche jaillissait de ma bouche. Le contraire d’une belle apparence, n’est-ce pas?
Tu lui as fait une méchante peur. Je lui ai juré que tu avais menti, mais elle ne m’a pas cru. La belle Mandy ne pouvait pas accepter de sortir avec un malade.
« Je l’ ai fait pour te rendre service. » Mon œil! Bon, c’est vrai, Mandy, je la voyais dans ma soupe. Elle faisait de moi ce qu’elle voulait. Elle m’empêchait même de te voir. C’est vrai qu’elle s’était mise en tête de me faire couper les cheveux à son goût, de changer ma garde-robe elle me disait : « Mouche-toi » , chaque fois que je reniflais. Oui, dans un certain sens, tu m’as rendu service. Mais…tu étais aussi un peu jalouse, hein? Avoue-le donc…J’aimerais tellement te l ‘entendre dire… | |
| | | Mary-Eve Admin
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| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:05 | |
| Qu’est-ce que sa te faisait, à toi, de s’avoir que j’étais jaloux? De tes profs, bien sûr. Moi, j’étais beaucoup trop jeune pour toi. Madame n’aime que les hommes mûrs. Parce que tu t’imagines que tu vas apprendre des choses merveilleuse avec eux.
Voyons donc! Tu ne t’es jamais rendu compte que c’est ta beauté, ta fraîcheur, ton corps qui les attirent? Oublie la belle communication spirituelle, les rencontre intellectuelle. Ils sont flattés qu’une belle fille comme toi s’intéresse à eux. Eux aussi, ils sont orgueilleux.
Alice, tu es toujours sortie avec des faibles qui ont besoin de plus petits qu’eux pour se sentir quelqu’un. Des gars incapables de regarder une vraie femme en plein face. Des peureux, tu as toujours choisi des peureux. Pourquoi? Parce que tu ne sais pas ce que tu veux!
Tu exiges qu’on t’aime sans condition, qu’on te caresse, qu’on te chouchoute quand ça te tente, qu’on t’applaudisse à chacun de tes bons coups. Sinon, tu piques une crise en disant que personne t’aime. Si tu mettais les pieds dans une garderie, tu verrais que tout les bébés son comme ça. Les vieux loups le savent et ils jouent au papa qui applaudit la petite fille qui a fait un beau dessin et à qui on donne une crème glacée en récompense.
Prends ton François, je l’aimais bien finalement. Tout d’abord, il n’avait pas de cheveux gris. C’était toujours ça. Il avait juste dix ans de plus que toi, presque le même âge, selon tes critères. Un des rares profs qui nous donnait l’impression que ce qu’on disait était intelligent. Qu’il l’ait pensé ou non compte peu. La seule chose importante, c’était la notre. Et comme il jugeait que l’évaluation en philosophie était trop arbitraire, on passait tous.
Un gars correct. Très intelligent. Et très prudent. On ne touche pas à une étudiante. Mais il quitte son poste à la fin de la session. Et qui t’appelle chez toi durant les vacances de Noel? Monsieur le nouveau professeur d’université, excusez, pardon. Tu n’étais plus une de ses étudiantes, les dents de loup venait de pousser.
C’était la première vielle du jour de l’An, qu’on ne passait pas ensemble. Alice fête au champagne dans un appartement en quelque part dans Montréal, alors que ses parents pensent qu’elle est avec moi et vingt autres amis trop jeunes pour elle chez Carolyn. Des amis qui buvaient seulement de la bière.
Quand tu nous as rejoints, à quatre heures du matin, tu n’as pas eu à m’expliquer. J’avais compris depuis la veille, quand tu m’avais quitté au coin de la rue en m’embrassant sur les deux joues, en me disant : « Bonne année, grand nez. » J’avais compris, je voulais mourir.
Chez Carolyn, j’y ai pensé. J’ai dansé, j’ai crié, j’ai bu, j’ai ri. J’ai même réussi à entraîner Tiffany dans un coin. Je venais de glisser mes mains sous son chandail quand je t’ai vu arriver. Et ça m’a fait mal, juste ici, un coup de couteau à steak dans le cœur. Parce que je me suis souvenu que j’avais compris.
Tu savais que je savais. On est rentrés chacun chez nous, sans se parler. Ma mère se levait pour le déjeuner quand je me suis couché. J’aurais voulu pleurer, mais j’étais trop fatigué.
Pendant plusieurs jours, je t’ai vue tiraillée entre l’envie de parler à ton meilleur ami et la certitude que tu lui ferais de la peine. Je ne t’ai pas aidée, je t’ai laissée patauger dans la culpabilité. Chaque fois que je sentais venir la confidences, je disparaissais. J’ai évité le sujet le plus possible, sachant que tu n’y tenais plus. Tu savais que je savais et tu savais que je ne voulais rien savoir.
Jusqu’au jour ou. Ou j’ai chaviré en t’écoutant parler. Tu as débarqué chez moi sans avertir, tu m’as traîné de force dans ma chambre et tu m’as assis sur le lit : « J’ai fait l’amour avec François. »
Ta première fois. Malgré tout mon amour pour toi, j’espérais que l’expérience avait été horrible. Il me restait au moins la possibilité de te consoler. Mais non. Une fois que le prince charmant eut réveillé la princesse, il la cueillit délicatement sans abîmer ses pétales fragiles.
Pas de douleur, pas de pleurs, pas de heurts. Une découverte, une expérience heureuse, une infinie tendresse, des fous rires sur l’oreiller. Tu ne m’as pas épargné. Le beau rêve, la sensation d’être devenue une vraie femme, la chaleur de deux corps enlacés. Franchement, tu m’as déçu.
Toi, si original dans ta façon de t’exprimer en tout, tu m’as sorti la plus belle suite de clichés que j’ai jamais entendus! Tu ne m’as rien appris, ma fille! Il n’y avait rien là-dedans pour m’impressionner. Pour me presser.
Ton expérience est en fin de compte aussi banale que celle de n’importe qui. Je ne sais pas moi, tu aurais pu essayer de mentir, de rendre la chose dramatique, déchirante, philosophique même. Mais non. Il a fallu que tu sois aussi plate que les autres.
Tu ne peux pas savoir comment tu m’as fait mal, aussi. Un million de fois, je me suis imaginé à la place de ton François. Je me suis tellement perdu dans mes rêves que je peux te parler de la vitesse du sang qui coulait dans mes viennes gonflées comme une rivière au printemps. De mon cœur qui battait si fort que je n’entendais plus les paroles que je mettais dans ta bouche. De la sueur qui coulait sur ton visage et des gouttes qui perlaient au coin de tes lèvres.
Tu me parles d’amour physique. Moi je te parle d’amour tout court. Des rêves d’amour!
Quoique…Vois-tu, Alice, je ne suis pas comme toi : je suis du genre prudent. Ça te fatigue que je voie toujours des dangers partout. Toi, tu fonces tête baissée comme un taureau vers une cape sans te demander si, derrière la cape, il n’y aurait pas par hasard, un mur sur lequel tu pourrais te défoncer le crâne. Le hasard t’a toujours bien servie. Sauf que ton mur, c’est toi.
Moi, j’ai peur. Il y a deux façons de réagire devant des millions d’avertissements qu’on reçoit de tous côtés. Ou bien on envoie toute prudence par-dessus bord parce qu’on en a plus qu’assez des conseils des parents, des docteurs et de tout ceux qui veulent notre bien. Ou bien, on s’arrange pour avoir des condoms sur nous, surtout quand on n’est toute nus.
J’ai peur de mourir, j’ai peur d’être malade, j’ai peur de ne jamais pouvoir avoir d’enfant, j’ai peur de ne jamais pouvoir aimer vraiment une fille, la caresser, la toucher, faire l’amour avec elle. J’ai peur de finir pourrissant par en dedans sur un lit d’hôpital, laid, décharné, abandonné.
Tu vas me dire que quand j’aurais fait l’amour une fois, ce sera comme une drogue. J’en aurais envie au point de perdre la carte. Alors je serais moins peut-être plus aussi prudent. Mais ce sont encore des hypothèses. Il faudra que je choisisse bien la fille dont je vais tomber amoureux. Quoique ça ne garantit rien. Encore faudrait-il que se soit une fille qui veulent faire l’amour avec moi.
C’est bizarre : tu as toujours eu la réputation d’être une fille drôle, qui aime rire. C’est vrai que tu as un beau rire clair. Mais moi, je sais qu’il y a toujours eu au fond de toi, une fille qui pleurait, comme dans toute les histoires que tu inventais. Je pense que tu es née comme ça.
Tu vois? Tu ne peux rien me cacher. Je réfléchis deux minutes et je vois tout de suite ton jeu. Je te connais, Alice. C’est pour ça que des fois je te déteste. Le reste du temps, je t’aime. Pourquoi jouer sur les mots aujourd’hui? Je t’aime, Alice, je t’ai toujours aimée. Et tu le sais. | |
| | | Mary-Eve Admin
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| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:10 | |
| Je t’ai peut-être toujours aimée parce que toi, tu ne m’aimais pas. Par orgueil, moi aussi? Peut-être que si on était sortis ensemble, ça aurait été un beau fiasco. Peut-être que je peux endurer tes défauts parce que tu n’es pas ma blonde. Peut-être que ton beau grand baiser m’a juste pris par surprise et que, les fois suivantes, ça n’aurait jamais été aussi bon. Peut-être que je n’ai pas vraiment été jaloux, mais possessif, comme on l’est souvent entre amis. Hum? Qu’est-ce que t’en penses?
Ton beau visage reste immobile. Mais on dirait qu’il y a un petit sourire, là, dans le coin, du côté de la fossette. Tu me fais toujours cet effet-là : tu me regardes, sans parler, un peu de côté, et ça y est, je doute de tout ce que je dis, de tout ce que je pense. Tu me connais, toi aussi. On a toujours eu l’air de deux chiens qui se mesuraient pour s’avoir lequel était le plus dominant. Il y a des chiens qui n’ont jamais besoin de montrer leur crocs ni même de grogner, qui n’ont qu’à regarder un autre chien dans les yeux pour qu’il baisse la tête et s’éloigne.
Je n’ai jamais baissé la tête, je me suis jamais éloigné. Mais tu as toujours été la plus forte. Alors, veux-tu bien me dire ce que tu fais là? Tu es toujours aussi belle, paisible comme je t’ai rarement vu l’être. Je n’ai pas dormi de la nuit; je ne pensais pas qu’on pouvait contenir autant d’eau, ça pince, juste là, à gauche. Ça bloque, juste ici, dans mon cou. Ça pique, juste là, dans mes yeux. Il y a comme une main qui me serre le cœur tellement fort que j’aura des bleus. Reviens, Alice. Si tu ne le fais pas pour toi, fait-le pour moi.
Bon encore un bouquet. Ils ont essayé de faire des fleurs avec du ruban magnétique! C’est une bonne idée, sa sent rien.
« Pour notre plus belle voix. Ta gagne de la radio. »
Dans une demi-heure, les autres seront là. Probablement mille cinq cents personnes en même temps, puisque tu es si populaire. Il ne me reste pas grand temps.
Trente minutes d’écoulées. Un présent aux secondes interminables. Et un futur de trente minutes. C’est bien ce qu’il nous reste, à nous deux, n’est-ce pas?
Je n’ai jamais pensé au temps. Enfin, je ne me suis jamais assis pour y réfléchir. Te rends-tu compte de toutes les années qu’on a passées ensemble? De toutes les années qu’on a passées ensemble? De tous les mois, toutes les semaines, toutes les heures qu’on a partagé sans s’en apercevoir? J’ai seulement 16 ans, mais j’ai déjà la sensation, non la certitude d’avoir perdu du temps.
Il y a tant de chose qu’on aurait pu faire, qu’on aurait dû faire, tant de choses aux quelles on n’a pas pensé. Je ne sais pas, moi, aller camper, même si tu ne peux pas vivre à moins de dix pieds d’un bain. Écrire un roman, une bande dessinée, faire pousser de grenouilles…Jouer dans la musique, tiens, pourquoi pas?
On a passé des années-lumière à écouter les nouveaux disque, des nuits blanches à discuter sur tout, les voix, les musiciens, les arrangements, les pochettes. On a tellement dit chacun notre tour : « Moi, j’aurais fait mon solo de guitare là » ou « À sa place, j’aurais mis du violon au lieu de l’orgue » , on aurait peut-être pu créer un groupe!
Tu as une voix claire et juste. Moi, j’aurais pu apprendre à jouer du clavier. Alex est un génie de la guitare et Josianne n’arrête pas de nous casser les oreilles avec le fait qu’elle joue mieux la guitare base qu’un gars!
Je nous vois bien. On aurait commencé par des chansons connues, puis on aurait composé les nôtres. On n’est pas pires que les autres. Pour monter un groupe, il ne faut pas tant de talent que ça, juste des idées, du front et une image. Pour l’image, c’était facile avec toi.
Tu aurais eu des milliers de gars à tes pieds, j’en suis certain. On serait vite devenus riches et célèbres, et après…Après, on aurait fait autre chose. Du cinéma probablement. Enfin, toi, sûrement. On aurait dû y penser quand c’était le temps? Mais on se dit qu’on a la vie devant nous. Et la vie, c’est long long long. Selon les statistiques, il me reste un bon soixante ans à vivre. J’ai tout mon temps. Mais c’est comme si je comprenais pas ce que ça signifie.
Dix, vingt, trente, quarante ans, qu’est-ce que ça représente quand on en a seize et qu’on se souvient d’à peine la moitié? Le pire, c’est que parfois, j’ai l’impression d’être vieux! Toi, tu as toujours donné l’impression d’être déjà vieille, mais vraiment vieille, plus vieille, plus sage… La grande différence entre toi et moi, maintenant, c’est que ton futur est tout tracé, alors que le mien flotte dans un brume épaisse.
Tu m’as souvent demandé comme on peut vivre malgré toute cette violence, cette haine qui nous entoure. Comment les gens peuvent faire des enfants en sachant qu’ils les mettent au monde dans un véritable enfer, qu’ils les assoient sur une bombe, qu’ils mourront un jour en les laissant se débrouiller tout seuls? Je ne sais pas. Il vaudrait mieux que je n’ai pas d’enfants. Mais je suis là et je veux vivre. C’est tout. C’est plus fort que moi, plus fort que toi.
Tu permets que je m’assoie? Je marche de long en large depuis tout à l’heure. J’ai dû faire au moins dix kilomètres. Mes pas ne résonnent pas, je marche en silence, je glisse plutôt, je suis sur un coussin d’air, je flotte presque. Je me sens en dehors de la réalité.
Est-ce que je rêve? Est-ce que je fais un cauchemar? S’il te plaît, pince-moi!
C’est drôle : je parle, je parle et je parle et je te regarde même pas. Sans doute parce que tu ne te ressemble pas. Cet air paisible, je ne te l’ai jamais vu.
Ta beauté est torturée. Je t’ai toujours connue l’air soucieux, grave : l’air de quelqu’un qui comprends trop bien toute la laideur de la vie, l’air de quelqu’un qui semble voir l’avenir. Pour moi, tu as un don. Je me demande même si tu ne connais pas ton destin depuis ta naissance. Tu aurais dû apprendre à tirer les cartes.
Tu as toujours eu l’air si sûre de toi! Et moi, j’ai toujours eu l’air du petit timide qui disait : « Oui, Alice. » Mais finalement, celui qui a le plus d’assurance entre nous deux, c’est moi. Je sais que je veux vivre, j’ai déjà une longueur d’avance sur toi. Même que je veux vivre très longtemps. Et s’il faut que je meure, eh bien, je deviendrai un fantôme! Je pourrais peut-être aussi sauver un gars ou une fille qui veut se suicider…Si tu le pouvais, je suis certain que tu me dirais de mettre mes babines au neutre. Je parle rarement comme ça, sans arrêt, lancé comme dans une course seul.
Ça me fait drôle d’être avec toi et que tu restes silencieuse. Normalement, j’aurais à peine eu le temps de placer deux ou trois phrases. Tout de suite, tu m’aurais coupé, contredit, sermonné. Tu serais partie en dix-huitième vitesse pour m’expliquer, préciser, me montrer là où j’ai tort, là où j’exagère, là où je fais fausse route. Je t’aurais écoutée religieusement, sans que tu me convainques. Puis j’aurais changé de sujet et j’aurais tout oublié. Pas toi. Tu te souviens de toute nos conversations, de nos chicanes, de nos délires.
C’est sûrement à cause de ta mémoire exceptionnelle que tu es aussi malheureuse. Toutes les méchancetés, les mesquineries, les mensonges, même si tu excelles là-dedans, les mauvaises blagues, les pointes vicieuses, les sous-entendus vaches, les mots cruels sont toujours présent, derrière ton front fier. C’est lourd parce que même dans une vie aussi courte que la nôtre, on peut entendre un maudit paquet de mots blessants.
Moi, je suis détestable optimiste, probablement parce que j’oublie tout. Oublier n’est peut-être pas tout à fait le mot juste ; disons que je n’y pense plus. Qu’est-ce qui est le mieux? Je t’envie pour ta lucidité et je m’en veux pour ma tête pleine d’air. Tu es pourtant retournée au cégep, après un an à ne rien faire. Il faut croire que l’ennui a pris le dessus sur le désespoir. À ce moment-là.
Tes parents ne t’ont pas mise à la porte et tu ne l’as pas claquée non plus. Tu n’as pas erré dans les rues. Tu as pensé un an à lire, à écouter de la musique, à dormir. Tu étais silencieuse. C’est rare. Au lieu d’entrer en conflit avec tes parents, tu les écoutais, sans répondre, vanter les mérites de l’éducation. Enfin, ta mère, surtout, discutait, car ton père avait toujours en tête ses échecs. Lui, l’ingénieur qui avait étudié si longtemps, s’était fait avoir comme un enfant avec ses placements. Alors il mettait la pédale douce, côté conseils.
D’une certaine manière, tu t’éduquais. Parce que tu étais un boulimique de lecture. Tu as vraiment lu n’importe quoi. Tout ce qui te tombait sous la main. Des magazines de cuisine, l’horoscope, Bonheur d’occasion et des classiques français poussiéreux, de la poésie, des biographies de saints, le dictionnaire, le journal de Rosement, des traités de philosophie. As-tu compris tout ce que tu as lu? Sûrement, mais peut-être de travers. | |
| | | Mary-Eve Admin
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| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:14 | |
| Tu m’as toujours reproché de ne lire que des bandes dessinées ou des livres qui ont pour seul but de faire rire. Je ne vois pas pourquoi un livre drôle serait moins profond qu’un drame. Même que c’est probablement le contraire, tu sauras. Comme si la profondeur était dans la mort! Quand tu es mort, tu es mort! Et le plus profond ou tu vas aller, c’est six pieds sous terre…
J’aime rire. Ça ne veut pas dire que je suis complètement inconscient. C’est sérieux, quand je dis que je vais étudier en médecine. Je n’ai quand même pas choisi ça pour l’argent. Ben non! Je veux être utile, voilà. Je me vois déjà dans l’équipe de Médecins sans frontières. Alors pour le confort et le luxe, on repassera. Tu me dirais, avec ton esprit tordu, que vouloir être utile et le devenir, c’est se faire plaisir à soi avant tout. Et puis après? Ça ne m’empêche pas d’aider, de soulager, de guérir, de consoler.
Je refuserai de passer douze patients à l’heure. Je prendrai tout le temps nécessaire à chaque cas. Je serais accueillant, compatissant. Je ferai des visites à domicile. Je pense même que je n’aurais pas de temps pour les filles. Quoiqu’elles attendront sûrement en file à ma porte. Un docteur, c’est couru, mais cela n’a évidemment rien à voir avec mon choix. Évidemment.
Je pourrais aussi me joindre à l’Organisation mondial de la santé. Et, qui sait, trouver enfin comment régler le problème de la surpopulation mondiale. Ou je pourrais entreprendre des recherches sur le sida et trouver le médicament miracle. Ou entreprendre des recherches sur le vieillissement et allonger notre vie jusqu’à cent dix ans. Ou découvrir comment dépolluer tout les cours d’eau. Ou, tout simplement, éliminer le gène de la haine en nous. Il y a tellement de chose à accomplir, Alice. Peux-tu imaginer une seule seconde la joie immense que ce serait d’arriver à rendre la vie meilleure pour tous? En choisissant le théâtre, tu le faisais aussi, à ta manière. Émouvoir, faire rire, faire oublier aux gens leurs problèmes pendant deux heures ou leur mettre devant les yeux un miroir pour qu’ils se comprennent mieux, c’est un pouvoir incroyable! Tu ne serais pas seulement belle sur scène, tu serais utile aussi.
À quoi rêves-tu en ce moment? Parce que je suis sur que tu rêves. La grand différence entre nous, c’est le rêve, tiens. Tu n’as toujours rêver qu’endormie. Alors que moi, depuis seize ans, je rêve éveillé.
On dirait que tu ne rêves jamais. Je ne t’ai même jamais entendue dire : « Les gens vont savoir ce que c’est, une vraie actrice, quand ils vont me voir jouer! » Il faut toujours penser qu’on sera la meilleure : sinon, à quoi ça sert?
Dis donc, Alice, est-ce qu’il y a un sens à ce que je raconte depuis plus d’une demi-heure?Je dois me répété, me contredire. Je dois dire des choses que je pense, d’autres qui dépassent ma pensée, des choses intelligentes, d’autres complètement stupides.
Tu aimerais peut-être mieux que je me taise, que je reste près de toi en silence. Après tout, c’est souvent ce qu’on a fait ensemble. On était bien quand on se disait rien ou qu’on se collait pour regarder un film ou qu’on marchait sur la montagne. On n’est pas toujours obligés de parler.
Mais je suis incapable d’arrêter. Je parle pour parler, parce que cette fois-ci, le silence est terrible, le silence est froid, long et lugubre. Je parle pour que tu m’entendes, pour que tu reviennes, pour que tu ouvres les yeux, que tu me souries et que tu me demandes : « Qu’est-ce que tu fais là, toi? Encore en train de me coller après! » Que tu sois surprise et que tu aies tout oublié ce que je t’ai raconté. Qu’on soit comme avant!
Je parle parce que c’est plus fort que moi. Ça sort comme du vent, ça sort comme des larmes, ça sort comme un cri, même si je murmure à peine. Il faut que sa sorte pour faire moins mal. Il n’y a que toi au monde qui peux me rendre malheureux à ce point-là. Et si c’est à cause de toi, j’accepte d’être malheureux. D’une certaine manière, tu t’occupes de moi. Car ne me dis pas que tu n’as pas pensé à moi un peu, que tu n’as pas pensé que tu me ferais de la peine. Une peine tellement immense qu’un sourire, dans la rue, sans raison particulière, je voulais lui crier que plus personne sur la planète n’avait le droit de sourire.
La planète. Es-tu encore dessus, Alice? Tu n’as pas le droit de partir!Je vais te faire revenir. Je vais te secouer, Alice. Allez, réveille-toi! C’est assez! Tu n’es pas drôle. Arrête ton spectacle. Tu ferais n’importe quoi pour attirer l’attention hein? La blague a assez duré maintenant. Réveille…réveille-toi donc!
J’ai crié trop fort, j’ai attiré quelqu’un. J’ai fait semblant de te caresser le bras et je me suis éloigné de toi, l’air de rien. Elle m’a demandé si j’avais besoin de quelque chose, si je ne voulais pas me reposer. J’aurais voulu me cacher sous le plancher. Ou mieux, me sauver.
Me sauver en courant parce que c’est insupportable, cette odeur des fleurs! Insupportable de ta voir là, immobile. Insupportable de me retenir, d’essayer d’avoir l’ai solide, d’avoir l’air fâché même. Insupportable de ne pas entendre ta voix, de ne pas voir tes yeux s’ouvrir, un peu éblouis par la lumière, comme lorsque tu te réveilles au beau milieu d’un cours après t’être endormie d’ennui…
Respire, Nickolas. Prends une longue respiration par le nez, expire lentement par la bouche, chasse tout l’air de ton ventre. Et recommencer. Encore. Encore. Ça va mieux.
Oui, belle idée, partir en voyage. J’irais en Australie et je t’achèterai un koala. Tu les trouves si jolis. Tu t’endormirais en le serrant contre toi, petit fille qui n’a pas encore grandi dans son cœur. Je ferais un saut en Amérique du sud et peut-être découvrirais-je, dans la forêt amazonienne, des peuplades encore inconnues. Je serais leur premier homme blanc, mais je ne parlerais d’eux à personne pour qu’on les laisse tranquilles. Sauf à toi, bien entendu. Je remonterais, en prenant mon temps, par le Mexique, les États-Unis, jusqu’ici. Il me semble que je reviendrais changé. Meilleur sûrement. Et après? Je ne sais pas, je ne peux pas tout prévoir.
Ho! Encore des fleurs! C’est un arrangement sans personnalité, une commende du genre : « Faites-moi un bouquet de telle valeur. » « À la plus belle. François. » | |
| | | Mary-Eve Admin
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| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:16 | |
| Il me reste vingt minutes à peine avec toi. Mais je suis essoufflé. J’ai l’impression de courir le marathon, même si je ne l’ai jamais fait pour vrai. J’imagine que ça y ressemble. Se lancer d’un coup, donner tout ce qu’on a. Continuer, même lorsqu’on sent qu’on n’a plus rien à donner, qu’on n’a plus rien à dire, parce qu’on sait qu’il reste toujours un petit bout de force, un petit mot caché quelque part en soi. Le fil d’arrivée en paraît à la fois proche et loin. Surtout loin. Les derniers milles, les dernières minutes ne se comptent plus. Ce sont des morceaux d’éternité, des blocs de granit à traverser.
M’entends-tu? Je suis en train de te faire la leçon. Moi! Normalement, tu devrais pouffer de rire. Et puis, je dois avoirs les oreilles rouge feu, tellement j’ai chaud, tellement je m’énerve. Tantôt j’étais gelé. Maintenant, je transpire. Je vais être obligé de remettre mon blouson avant que les autres arrivent. J’ai oublier de mettre du déodorant en plus. Il faudra que je me tienne près des fleurs, pour qu’elles couvrent mon odeur. La quantité d’eau que j’ai dans le corps, c’est vraiment incroyable. Je suis la fontaine du parc.
La fontaine, tiens. On y est allés souvent ensemble, le dimanche après-midi, quand on n’avait rien d’autre à faire. On faisais dix fois le tour du lac, on s’assoyait dans l’herbe, toi au soleil, moi à l’ombre parce que je brûle juste à regarder le soleil sur une annonce de voyage dans le sud. Tu avais toujours l’air heureuse, allongée à ne rien faire. On se roulait dans l’herbe et on s’amusais à notre jeu favori : rire du monde.
On voyait tous les défauts des gens qui passaient devant nous : les poils qui sortaient des oreilles d’un vieux, les petites culottes qui se dessinaient à travers le pantalon trop serré d’une fille, la démarche et les pieds prostitué, le rouge à lèvres d’une mémère trop maquillée. On ne trouvait pas les gens triste, mais drôles. En somme, la vie était un jeu.
Pourquoi est-ce qu’elle ne l’est plus aujourd’hui? Pourquoi ne pas jouer encore? La vie est dure, cruelle, sérieuse et tout le blabla, mais je n’en suis pas responsable! Ce n’est pas ma faute si je suis né en Amérique du Nord, et je ne vois pas pourquoi je me sentirais coupable de manger trois fois par jour. Pourquoi est-ce que je devrai être malheureux? Au contraire, j’ai une bonne raison de me réjouir! Je refuse de porter le poids du monde. Je te le laisse, puisque ça te fait tant plaisir.
Je peux lire les reproches sur ton visage. Tu as l’air de me dire : « Tu n’as pas honte de parler comme ça? » je ne sais pas. Mais je sais que ça te provoque. Et d’habitude, tu réagis violemment. Tu sautes dix pieds en l’air, puis tu t’installes bien en face du niaiseux qui ose dire des sottises et te tenir tête. Tu lui dis ses quatre vérités, même si tu le connais à peine. Et tu vises toujours juste. Tu lis dans le cœur des gens et tu y trouves chaque fois ce qu’il y a de laid. Tu ne cherches jamais le beau. Tu es dure, méchante, négative, chiante, hautaine!
Veux-tu bien m’expliquer pourquoi je t’aime! Dans le fond, tu n’en vaux pas vraiment la peine. Aimer une menteuse, c’est voler assez bas merci. Je découvre, là, maintenant, pourquoi tu es si menteuse. Tu te racontes tellement d’histoires que ça ne te dérange pas une miette d’en raconter aux autres. Je me demande si tu es consciente que tu mens.
Que tu mens quand tu dis à un gars que tu l’aimes. Que tu mens quand tu dis à l’humanité que tu l’aimes. Que tu mens quand tu dis à tout le monde que tu vas bien. Que tu mens quand tu dis détester ta mère. Que tu mens quand tu dis n’envier personne sur terre. Le seul moment ou tu ne mens pas, c’est quand…quand tu souris.
Parce qu’un sourire comme le tien, c’est un vrai trésor. Un plaisir fou pour celui que te regarde. Un filet d’eau fraîche qui jaillit d’entre deux roches, des lumière de Noel dans un sapin, un feu de foyer, un soir d’automne à la campagne, un sucre à la crème de ma grand-mère.
Et quand ton sourire se transforme en rire, il devient un mobile qui tinte sous un vent doux, la clochette au cou d’un chat qui se roule dans le sable, trois moineau qui chantent en se chauffant au soleil un matin d’hiver, la musique que je composerais si j’étais musicien.
Il faudrait que tu voies avec mes yeux Alice. J’essaie de t’engueuler, mais ça ne marche pas. Je m’enrage contre toi, j’explose. Puis je m’arrête tout à coup parce que je suis incapable de te détester. Ce serait tellement plus facile si je le pouvais.
S’il arrive malheur à quelqu’un que tu hais, ça ne t’empêche pas de vivre. Tu dis : « C’est donc de valeur », même si, au fond, tu penses que c’est bien fait pour lui. Et tu l’oublies immédiatement, comme si tu ne l’avais jamais connu.
Mais quand il arrive malheur à quelqu’un que tu aimes, tu voudrais être à sa place. Quoique je t’avoue, Alice, que je n’aimerais vraiment pas être à la tienne.
Ah et puis merde! Ça va faire!À quoi ça sert que je te dise tout ça? Je dépense ma salive pour rien. Je me demande si c’est à toi ou à moi que je parle. J’ai l’air d’un vrai fou, même si, pour le moment, personne ne me regarde. Je me trouve ridicule. Je ferais mieux de me taire pour les quinze minutes qui restent, au lieu de raconter n’importe quoi, de te parler de la vie, de l’amour, du future, de l’école, des souvenirs d’enfance!
Franchement, les souvenirs d’enfance! Comme si j’étais un vieux qui n’a plus d’avenir et qui ne peut que regarder en arrière.
L’école : y a-t-il un sujet plus plate? Je veux dire, dans un moment pareil. Pas trop trop original, ton ami Nickolas.
Le futur : ça ne t’intéresse même pas!
L’ amour : tu n’en connais pas plus long que moi sur ce sujet-là
La vie : bof!
Je viens de perdre trois quarts d’heure. J’aurais mieux fait de te parler de mes sujets habituels. D’avoir avec toi une conversation sur tout et sur rien, comme si de rien n’était. Comme si la vie continuait normalement. Comme si rien n’avait changé. Tu aimerais sûrement mieux ça. | |
| | | Mary-Eve Admin
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| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:20 | |
| Je vais te raconter le film que je regardais juste avant que ta mère appelle. Tu as toujours aimé que je te raconte les films que je vois. L’histoire se passe dans un petite ville, quelque part en Angleterre. Il pleut, c’est le soir. Le pub est éclairé et, quand un homme ouvre la porte, on entend les éclats de rire de buveurs qui ont leur quota de bière. Un homme très jeune entre, un étranger. Le beau gars. Silence. Il demande à la femme du bar, ou il peut trouver une chambre pour la nuit. Elle lui répond : « Ici. » Sa fille, qui sert aux tables, dévisage le gars.
À peine installé dans sa chambre, il se fait monter du thé. Et la dame du pub le trouve mort, assassiné. L’inspecteur de police, qui prenait un petit whisky, interdit à quiconque de sortir. L’enquête commence.
Malgré tous les dénis, quelqu’un connaissais l’homme. Quelqu’un pressé de le tuer. Qui? Pour quel motif? Chacun est interrogé. La nuit s’étire, les visages sont fatigués, l’air est vicié. L’inspecteur a vite l’impression que tout le monde ment. Que le village entier a quelque chose à cacher. Premier coup de théâtre : des papiers, trouvés dans la chambre du gars, nous apprennent qu’il était le frère de la jeune serveuse, c’est-à-dire le fils de la dame du pub.
Deuxième coup de théâtre : le mari de la dame n’était pas au courant. Ce fils était né l’année ou il travaillait aux Indes. Il n’était donc pas le père, et la mère avait donné le garçon en adoption.
Troisième coup de théâtre : la jeune serveuse avait rencontré le gars un mois plus tôt et était tombée amoureuse de lui, ne sachant évidemment pas qu’il s’agissait de son demi-frère. Quand elle l’apprends, tu t’imagines bien qu’elle fond en larmes.
Quatrième coup de théâtre : le père du mort est en réalité le lord local. Un riche lord. Qui a toujours fait bénéficier de ses largesses les propriétaires du pub. Mais jusqu’ici, pas de mobile. Tu me suis?
Parallèlement, il y a un pub le vieux Bruns, un miséreux qui, pour la première fois de mémoire de village, a de l’argent pour payer ses consommations. On le soupçonne évidemment de vol. il va aux toilettes. Il a très envie, car il a bu au moins cinq grosses bières. Comme il ne revient pas, on le cherche. On le trouve : il est mort.
L’assassin est donc encore dans le pub. C’est à ce moment-là que j’ai vaguement entendu le téléphone sonner.
Normalement, quand le téléphone sonne, je me précipite pour répondre, puisque deux fois sur trois, c’est pour moi. Mais j’étais trop absorbé par le film. Si tu manques une minute d’un polar, tu risques de ne plus rien comprendre après parce que tu as raté la révélation ou l’indice principal de l’histoire.
Comme ma mère ne venait pas m’avertir, j’ai conclu que l’appel était pour elle.
La préoccupation principal de l’inspecteur était d’éviter un autre meurtre. Il partageait dans le mystère. Rien de pire, pour un inspecteur, qu’une mort qu’il ne comprend pas.
C’est la que ma mère est entrée au salon. - Nickolas, j’ai quelque chose à te dire.
Elle avait l’air grave, mais je n’ai pas fait attention parce que l’intrigue se corsait. On parlait maintenant de déchets radioactifs.
- Nickolas, j’ai quelque chose d’important à te dire - Attends un peu, le film finit dans trois quarts d’heure!
Ça prouvait sûrement attendre. Il n’y a rien de si important dans la vie qui ne puisse pas attendre le dénouement d’un film policier, le dévoilement du nom du coupable. Rien, non, sauf ce que ma mère allait m’apprendre. Elle a coupé le son de la télé. J’ai protesté, évidemment.
- Mon film!Qu’est-ce que tu fais là? - Alice est morte.
Bête de même. Je lui ai bien sûr, demandé de répéter, en faisant semblant que je n’avais pas compris. Il y avait comme un mur dans ma tête qui empêchait les mots de pénétrer dans mon cerveau. Mais les mots étaient les plus forts.
Je suis resté immobile pendant une minute, le temps de revenir sur terre. Ma mère s’est approchée de moi, douce. J’étais sans réaction. Mais elle le sait bien : quand je ne réagis pas, c’est pire que lorsque j’éclate. Ça veut dire que je suis sonné, que la douleur qui suivra sera trop grande pour mon corps.
J’ai fini par dire une niaiserie du genre : - Ça se peut pas…pas Alice…
Mais c’étais pour gagner du temps sur la réalité. La réalité bête et brutale. Une seconde, j’ai pensé : « Elle le fait vraiment exprès de mourir juste au beau milieu de mon film! Je ne saurai pas qui a fait le coup ni pourquoi. » c ‘est nono, hein? Je t’ avais vue à midi. Dix heures plus tard, tu étais morte. Ma tête refusait de faire le saut, d’admettre la vérité. Le cinquième coup de théâtre de la soirée. Le pire!
Je voyais les images du film défiler en silence, la jeune fille de pub pleurer devant l’inspecteur. Ma mère m’a pris le bras, la serré fort. Elle ne disait rien.
- Elle a eu un accident?
C’était la question évident à poser. Ma mère m’a lâché. Elle s’est frotté les mains, a fait tourner sa bague de mariage, qu’elle porte toujours, comme elle le fait chaque fois qu’elle cherche ses mots.
- Elle s’est tuée. - Oui, mais comment? Un camion l’a frappée? Elle a glissé et elle s’est brisé le crâne sur la glace? C’est ça que je veux savoir!
Je m’énervais. Ma mère gardait son calme. - Ce n’est pas un accident, Nickolas. Elle s’est suicidée
Sixième coup de théâtre. Je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir pire que de te savoir morte. Mais oui, il y avait pire. Pendant quelques secondes, j’ai regardé dans le vide. Mes yeux bougeaient beaucoup, allaient dans tout les sens, mais je regardais rien. Peut-être que j’essayais de voir à travers l’invisible ce que je n’avais pas su voir dans la réalité.
Puis la grande chute d’eau a commencé. J’ai pleuré dans les bras de ma mère, comme quand j’étais petit. Comme quand j’étais sûr que je pleurais pour toujours. Tu n’as vraiment pas marqué ta sortie. | |
| | | Mary-Eve Admin
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| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:22 | |
| Voilà un immense bouquet de lys blancs qui arrive.
« La direction du cégep de X »
Il faut être mort pour recevoir un cadeau de ces gens-là…
Le temps est presque écoulé. En principe, il me reste dix minutes seul avec toi, mais les gens vont certainement commencer à arriver un peu en avance, dans cinq minutes.
As-tu remarqué? Je te parle au présent, comme si tu vivais encore. Comme si, étendue dans ton cercueil, tu jouais un rôle, un rôle muet, encore une fois. Mais il faudra que je me fasse à l’idée…
Je commence à peine à réaliser que tu me répondras pas. Et encore. Chaque fois que je te regarde, je guette un signe de vie qui apparaîtrait soudainement sur tes traits. Un plissement des yeux, un tremblement du menton, un léger mouvement de la poitrine qui se soulève pour respirer. Peut-être vas-tu ouvrir les yeux, te mettre à rire, et on s’apercevra que tu n’étais pas vraiment morte, mais en catalepsie. Tu te réveillerai juste à temps
Peut-être que tout cela n’est qu’une mise en scène pour savoir ce que les gens pensent de toi, s’ils t’aiment, s’ils tiennent à toi. Et si, après les avoir tous vus pleurer, tu te levais, tu les saluais et les remerciant, prête à continuer ton bout de temps, rechargée par toute l’énergie amoureuse et affectueuse qui t’entoure?
Je suis sûr que tu as imaginé la scène d’aujourd’hui plusieurs fois. La douleur des gens, leurs larmes, leur air catastrophé. Tu les as tous vus autour de ta tombe, incrédules, meurtris. Tu t’es vue en reine d’un jour pleurée par ses sujets. Et après?
La seule personne qui manque à ta belle représentation, c’est toi. Parce que tu ne te réveilleras pas, n’est-ce pas? Tu ne peux pas, puisqu’on t’a embaumée, vidée. Tu es morte, complètement, totalement morte.
Ça ne m’empêche pas de croire que, ou que tu sois, tu m’entends. Ton esprit flotte autour, je le sens. Je ferme les yeux et je te vois volant autour de cette grande pièce. Tes beau cheveux en suspension dans l’air entourent ton visage, ton corps, comme un écran de fumée. Tu es assise dans un nuage. Tu ne laisses rien voir de tes sentiments. Regrettes-tu, Alice?
Il fait froid maintenant.
Tu sais, si tu avais eu un accident, j’aurait été immensément malheureux et j’aurais trouvé la vie affreusement injuste. Mais tu as choisi de mourir. Alors, je suis quand même immensément malheureux, mais je ne trouve pas la vie injuste. Je la trouve dégueulasse, écoeurante, pourrie. Parce qu’elle n’a pas fait son travail.
La vie aurait dû te convaincre qu’elle valait la peine d’être vécue, mais elle ne l’a pas fait. Une preuve criante d’incompétence. Malheureusement, cette vile-là n’a personne pour la remplacer quand elle est malade ou en brun out .
N’empêche. Tu aurais pu être plus forte qu’elle. Parce que tu n’es pas plus avancée, maintenant. Bon, tu as fait pleurer tout le monde. Tu dois être contente, mais après? Quand tu auras été incinérée, tantôt, la vie continuera pour tout le monde. Saut pour toi. Je te plain.
Je ne peux pas croire que j’ai prononcé le mot « incinérée ». J’en n’ai des frissons dans le dos. Je refuse d’admettre que ça t’arrivera à toi. La première chose qui s’envolera en fumée, ce sera ta belle chevelure. Ça brûle en un rien de temps, les cheveux. Puis, ce sera au tour du reste, jusqu’à ce qu’il ne subsiste de toi qu’un peu de poussière et un souvenir. Je suis certain que tu n’as pas imaginé cette scène. Mais c’est ce qui arriveras, Alice.
Il ne restera plus rien! Comprends-tu ce que sa signifie, rien? Non seulement ton mal de vivre disparaît, mais toi aussi! As-tu pensé à ça?
Tu n’es pas dans un film, ma belle, tu es dans la vraie vie. Et dans la vraie vie, on ne voit pas la petite cruche qui continent nos cendres. On ne voit rien, on ne sens rien. Tu ne t’es sûrement même pas sentie libérée d’un poids, comme tu l’espérais, parce que tu n’as plus de sensations! Tu n’as plus rien. Ça te fait une belle jambe, hein?
Non, tu n’avais pas le droit de faire ça! De te faire ça! De me faire ça! Tant de mal pour rien? Pour devenir rien? Pour qu’il ne reste rien? Je te pensais intelligente. Je m’aperçois que ta réputation était nettement exagérée.
Tu as choisi un moyen dramatique à souhait pour te tuer : t’ouvrire les poignets. Tu as dû te trouver courageuse. Mais tu es lâche, Alice. Lâche et cruelle.
Madame se suicide chez elle, alors que tout le monde est parti pour plusieurs heures : tes parents au restaurant et à un spectacle d’humour, ta sœur chez une amie avec laquelle elle devait étudier. Un beau retour à la maison, oui!
Tu aurais pu le faire ailleurs, n’importe ou. Dans une ruelle, tiens. Mais non, dans ton lit. Ta mère est encore sous le choc. Ton père, je ne sais pas, mais il ne doit pas être reluisant. Je suis encore sous le choc moi aussi. Je suis jeune, je vais m’en remettre. Mais eux? Les détestais-tu au point de leur laisser en souvenir des images qui peuplerons leurs cauchemars jusqu’à la fin de leur vie?
La douleur dont tu t’es débarrassée, tu l’as juste refilée aux autres. En pire. Au fond, tu as peut-être bien fait de mourir. Quand on est cruelle comme tu l’as été. Sûrement inconsciemment, je te laisse le bénéfice du doute, sinon ce serait trop laid, quand on est coupable d’être cruelle à ce point-là, Dieu sait ce que , vivante, tu aurais pu faire dans ta vie.
Ça t’écoeure que je te dis là? Dis-toi bien que je le pense. Ce n’est pas l’émotion qui me fait parler. Ma tête prend le dessus lentement et je n’ai jamais rien vu d’aussi laid de ma courte vie.
Je regrette, mais ta belle sortie est pas mal moins romantique que tu l’aurais certainement voulue. Tu as mis tout le monde à l’envers. Je gage que, demain, au cégep, on aura un psychologue sous la main pour essayer de comprendre, pour parler de nos sentiments. Mais il n’y a plus rien à comprendre. Tu es morte, point final. C’est ce que tu voulais, tant pis pour toi! Laisse les vivants tranquilles, par exemple.
Tu as choisi, tu avais le droit. Mais quant à moi, tu as décidé trop vite. Tu t’es jugée assez grande pour ne pas en parler, même à moi, et tu t’es lancée là-dedans comme dans le vide. Mais ce n’était pas du bungie . Il n’y avait rein pour te retenir. | |
| | | Mary-Eve Admin
Number of posts : 11517 Age : 40 Localisation : ♥ In his dream ♥ Registration date : 2008-03-16
| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:26 | |
| As-tu espéré qu’on te trouverait avant que tu meures? Ça se pourrait bien. Tu savais que tes parents reviendraient. Tu croyais peut-être qu’il faudrait beaucoup plus de temps à ton sang pour s’écouler de ton corps. C’était peut-être juste un cri rouge que tu poussais…
Quand ils sont arrivés, il étai trop tard. Ou bien tu avais très bien calculé tes affaires, ou bien tu les avais très mal calculées. On ne le saura jamais. Mais si c’était un cri, pourquoi ne pas t’être arrangée pour que je l’entende? J’aurais pu, je ne sais pas moi, rester avec toi tout le temps, te raconter des histoires, te faire rire un peu, n’importe quoi pour te changer les idées, jusqu’à ce que tu n’y penses plus.
Peut-être que ç’aurait été court, peut-être qu’il n’aurait fallu que deux jours pour te remettre sur pied, pour te redonner le goût de vivre. Mais ce n’est peut-être pas ce que tu voulais réellement…
J’aimerais croire que c’est une erreur, une erreur de calcul, tout simplement. J’aimerais croire en la réincarnation aussi. Pour me dire : « Elle va revenir, autrement, mais elle va revenir. Je ne sais pas ou sur la planète, dans quel pays, de quelle couleur, de quel sexe, mais elle va revenir. Et un jour, lors d’un de mes voyages, une petite fille qui aura ton sourire viendra vers moi, confiante, comme si elle me connaissait depuis toujours. »
À moins que tu reviennes sous la forme d’un animal, un petit chien au poil soyeux, une girafe aux yeux doux, une baleine bleue ou même un pingouin. Ce serait bien, parce que tu n’aurais pas d’idées suicidaires. Tu ne penserais qu’à ton estomac et à tes chaleurs point.
En tout cas, moi, j’aimerais revenir en cheval. En cheval au galop. La crinière au vent, le sabot sûr, un cheval sauvage dans une prairie de l’Ouest au milieu d’un horde fière. Ça, je te l’ai déjà dit tantôt.
Mais pour revenir sous la forme d’un cheval, il faudrait que je meure. Et je ne veux pas mourir.
Dis-moi : pourquoi hier?
Qu’est-ce qui sait passé hier pour que tu te dises : « Tiens, pourquoi pas se soir? Ce serait un beau soir. » Qu’est-ce qui t’a décidée à passer aux actes?
On a tous un jour ou l’autre pensé au suicide. Hé oui! Moi aussi, si tu veux le savoir. Ça t’étonne, hein? Il m’arrive d’être découragé, et triste, et déprimé, et de voir tout en noir, et de ne plus croire en rien, et tout. Ce n’est pas parce que je te parle de la vie-ci, de la vie-là depuis tantôt que je suis un gars toujours désespérément heureux. J’ai mes moments de désespoir, moi aussi. Je suis comme tout le monde.
Je me suis souvent imaginer mort. Mort asphyxie dans une voiture ou empoisonné aux médicaments, rien de trop salaud, pas trop de sang parce que ça me fait perdre connaissance. Chaque fois, je ressens vite un malaise. Comme si, après avoir vu tous les gens pleurer autour de moi, je réalisais, tout à coup, que ce pourrait être vrai. Je me vois mort et ça me déplaît : ça me donne mal au cœur.
C’est sa qui t’est arrivé? Tu as imaginé ta mort tellement souvent qu’elle a fini par t’habiter complètement? Par envahir toute la place en dedans et pousser dehors tout ce qui restait de joie de vivre?
Je suis certain. Tes rêves macabres ont fini par te dévorer complètement. Tu n’as pas décidé. Ils sont devenus les maîtres de la place.
Mais pourquoi hier? As-tu lu ou entendu quelque chose qui aurait tout déclenché? Sûrement quelque chose de complètement niaiseux. La goutte qui fait déborder le vase, comme on dit.
Ce qui est vrai, c’est que tu es là, morte. Un arbre sans feuilles, un raton laveur écrasé sur l’autoroute, une grenouille dans la formol. Si tu te voyais, tu ne serais pas trop trop contente.
Je vois ça d’ici : si une autre fille était à ta place, tu la jugerais durement. Tu la traiterais d’épaisse, de lâche, de molle, mais tu aurais la générosité de dire que tu comprends la faiblesse et le désespoir. Ce serait faux, mais tu le dirais quand même.
Tu irais jusqu’à la défendre devant les nonos trop étroits d’esprit pour refuser d’accepter que chacun ait le droit de choisir le moment de sa mort. Tu aurais la grandeur d’âme de ceux qui se croient au-dessus de tout.
Mais tu la trouverais faible quand même. À quoi ça sert d’imaginer? De me conter des histoires? C’est toi qui est là. Je ne te mépriserai jamais pour ce que tu as fait, mais certain jours je vais te hair profondément, je t’avertis.
Et qui sait? J’arriverai peut-être à t’oublier, à ne plus me souvenir de ton nom. Je pourrais mettre dans ta tombe les photos que j’ai apportées pour qu’elles disparaissent avec toi.
Je pourrais être tellement occupé plus tard que je n’aurais pas deux minutes pour me souvenir de toi. Je pourrais aimer tellement quelqu’un dans l’avenir que, s’il m’arrivait de penser à toi, le visage de ma blonde viendrais se superposer au tien, jusqu’au jour ou je n’arriverais même plus à évoquer tes traits.
Je pourrais me faire hypnotiser pour effacer de ma mémoire les baignades dans ta piscine creusée, mon séjour dans la sécheuse, toutes les nuits ou l’on a dormie ensemble, la fois ou j’ai cru que tu m’aimais parce que tu m’avais si merveilleusement embrassé.
Je pourrais ne plus jamais parler à tous ceux et celles qui t’ont connue pour les empêcher de me parler de toi, en bien ou en mal. Je pourrais jeter à la poubelle tout ce qui me vient de toi. Un livre, un disque, un signet, une roche ramassée sur une plage en voyage avec tes parents, un coquillage laid achetée au coin de la rue parce que tu la trouvais jolie.
Je pourrais lancer dans ta tombe le trèfle à quatre feuilles. Je vais le faire, tiens. Ce sera mon bouquet à moi. Je suis certain que ça va te plaire. Je te laisse pour que ça te porte chance dans l’au-delà, ou que tu ailles, même si tu ne vas nulle part.
Pour le reste, je ne ferai rien de tout ce que je viens de dire. Ce serait beaucoup de temps et beaucoup d’énergie perdus. Parce que jamais je ne pourrais t’oublier. Parce que je ne veux jamais t’oublier. Et parce que je n’aimerais jamais une fille autant que je t’aime, Alice. | |
| | | Mary-Eve Admin
Number of posts : 11517 Age : 40 Localisation : ♥ In his dream ♥ Registration date : 2008-03-16
| Subject: Re: Un Long Silence Wed 4 Jun - 1:28 | |
| Ça y est, je me mets à pleurer. Et j’entends la porte qui s’ouvres tous ceux qui t’ont aimée, ou qui sont seulement curieux, arrivent.
- Pourquoi tu ne parles à personne, Nickolas - Alice?!
Une seconde, j’ai cru que tu me parlais enfin. Mais c’était ta sœur qui me tapait sur l’épaule. Ou plutôt me touchait délicatement l’épaule, comme on touche un grand blessé. Tout le cégep est là, ta famille, la mienne. Mes parents ont pris une demi-journée de congé pour venir te voir. Non, pour venir me voir, pour être là au cas ou je ferais une crise, pour protéger leur fils et le consoler de la mort de la fille qu’il aimait le plus au monde.
Je n’ai envie de parler à personne. Comme si tout seul dans mon coin, j’espérais encore une sorte de miracle : tu te lèverais, tu viendrais vers moi et je serais le seul à te voir. Tu me parlerais, tu m’expliquerais ce que je n’arriverai jamais à comprendre. Non, tu ne pourrais pas le faire, car tu ne sais pas toi même pourquoi tu t’es tuée.
Il n’y avait pas de terrible secret enfoui en toi : tous tes drames, tu me les as racontés. Il y a des moments ou tu te jugeais nulle, niaiseuse, laide. Mais plus souvent qu’autrement, tu te trouvais intelligente, belle, intéressante.
Et puis, tant qu’on peut expliquer ce qui nous rend malheureux, on peut encore être sauvé, non? J’aurais dû me rendre compte que tu aillais mal parce que, justement, à partir d’un certain moment, tu n’expliquais plus rien. Tu ne t’en donnais plus la peine. Probablement que tu n’avais rien à expliquer. C’est quand on se tait que ça devient grave, n’est-ce pas?
Ce n’est pas que tu me faisais pas confiance, je crois, mais tu n’avais plus rien à me dire. Quand? Pourquoi? J’aurais beau retourner la question dans ma tête pendant les dix prochaines années, je trouvai mille réponses et en même temps aucune.
Il y a un grand trou noir. Tu t’es peut-être suicidée parce que tu étais déjà morte depuis un bout de temps. Morte de peur. Peur de ne pas être à la hauteur. Peur de prendre ta vie en mais. Peur d’être incapable de faire face à l’avenir.
Pire que ça : tu étais certaine d’être incapable. La peur, ce n’est pas assez pour se tuer. Il faut être au-delà de ça! Il faut être sûr qu’on n’arrivera jamais à rien.
Je te fais une promesse, Alice. J’arrête de pleurer, disons dans quelques jours. Et après, je rirai le plus possible. Peut-être que, de ton nuage, tu m’entendras et tu sauras que c’est pour toi. Voilà tout le monde s’approche du cercueil. C’est bientôt la fin, pour moi. Je vais déposer une mèche de mes cheveux sur tes mains. Mon dernier cadeau.
Des gens pleurent, d’autres parlent à voix basse. Je ne les entends presque pas. J’écoute mon cœur battre et je ferme les yeux. Si je désire assez fort, je suis sûr qu’en les ouvrant, je te verrai flotter dans les airs. Tu me prendras la main et tu m’embrassera en souriant.
Ils ont fermé ton cercueil. Tout le monde va au cimetière. Je n’irai pas. Parce que tu ne seras pas là.
Tu seras avec moi…
NB : Les idées son baser sur un livre que j’ai lu, et que j’ai adorée!!! | |
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